Laissez moi vous raconter une histoire, et en plus elle est vraie : celle d’Horace Fletcher, dit le Grand Masticateur, qui sévit aux Etats Unis à la fin du 19ème siècle. Il ne s’agissait pas d’un disciple de Jack l’éventreur, mais d’un homme d’affaires un peu replet. Malgré le fait qu’il était non médecin, il reçut les éloges de grandes revues médicales comme The Lancet pour une méthode d’amaigrissement infaillible, de bon sens, sans aucune contre indication et universelle.
Vos yeux s’écarquillent, votre cerveau bouillonne, votre raison tente de temporiser votre curiosité en se disant « encore une méthode régime révolutionnaire promettant des miracles, on attend de voir ».
Le fletchérisme
Horace Fletcher était un brillant homme d’affaires, et comme souvent à l’époque, les affaires florissantes amenèrent un embonpoint non moins florissant. Le jour où on lui fit l’affront suprême de lui refuser une police d’assurance en pointant son poids respectable (100 kilos pour 1,65 m), Horace entreprit de maigrir en se convertissant au végétarisme et en préconisant une méthode consistant à mâcher chaque bouchée de nourriture jusqu’à la réduire à l’état de liquide (ce que l’on appelle le bol alimentaire). Il perdit trente kilos et fut dès lors surnommé « Le Grand masticateur ». Dans son best-seller de 1903, L’AB-Z de notre nutrition, il expliquait comment compter les mouvements des mâchoires : la nourriture solide devait être mâchée pas moins de 100 fois avant d’être avalée. Tout ce qui ne pouvait être liquéfié devait être recraché. Quant aux liquides, il convenait de les faire circuler dans la bouche pendant 15 secondes avant leur déglutition. Cela devint rapidement une manière de vivre, avec des adeptes parmi lesquels John D. Rockefeller et Thomas Edison. Comble de la popularité, on déclina le nom de Fletcher en « fletchérisme » pour évoquer cette révolution alimentaire. Une étude de l’université de Médecine de Yale sur le fletchérisme conclut que les personnes qui suivaient ce régime voyaient leur force musculaire croître de 50%. Le temps passé à mâcher faisait même que la dépendance à l’alcool se trouvait diminuée !!
Prendre le temps de mastiquer pour perdre du poids
Notre époque moderne devrait nous inciter à nous repencher sur notre mode de vie et notre rythme alimentaire beaucoup trop soutenus. Au lieu d’empiler les régimes afin de perdre quelques kilos, on ferait mieux de se rappeler que la mastication est probablement l’une des techniques les plus efficaces pour perdre du poids, et donc la réhabiliter. On sait aujourd’hui qu’il faut 15 à 20 minutes pour que le signal de satiété partant de l’estomac soit enregistré par l’hypothalamus, notre unité centrale de traitement de l’information alimentaire. Si vous mangez plus rapidement, vous allez sortir de table ballonné, avec des problèmes de digestion pénible, l’impression d’avoir trop mangé. Et vous allez perdre du temps dans la digestion, qui va tellement solliciter votre organisme que vous serez moins opérationnel pour votre travail. Le temps économisé à manger trop vite, on le perd largement dans le travail digestif prolongé.
Nous connaissons actuellement une ère de restauration rapide « fast food », où le repas n’est plus forcément consommé assis mais peut l’être debout. Ou en faisant autre chose, comme regarder un écran, ce que l’on nomme les distracteurs d’attention. Cette pollution d’images, de sons, de sollicitations, fait que nous ne mangeons plus en pleine conscience. Le cerveau privilégie l’activité qui lui demande le plus de concentration, comme le traitement des images, au détriment d’une activité moins intellectuelle comme la mastication. Nous sommes également entré dans l’ère du mou. Regardez autour de vous les propositions alimentaires qui ont le vent en poupe : les pizzas, les kebabs, les quiches, les hamburgers, les plats ultra transformés, les sandwichs triangles etc. Que du mou, rapide à ingérer et court-circuitant cette étape fondamentale qu’est notre bouche équipée de dents, prêtes à saisir, déchiqueter et broyer les aliments. En situation normale, 7 minutes suffisent à une personne pour avaler (ou gober) un hamburger, ce qui signifie que vous avez largement le temps d’en manger deux avant que votre cerveau ne réalise que vous avez mangé, et vous donne l’ordre de stopper vos prises alimentaires. En prenant le temps de mâcher consciencieusement, le signal intervient après le premier hamburger. Vous êtes rassasié plus tôt, vous mangez moins de calories et vous maigrissez (cerise sur le gâteau) !
A l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) de Clermont Ferrand, la chercheuse Marie-Agnès Peyron a demandé à des volontaires de mâcher longuement leurs aliments… et de surtout ne pas les avaler ! La totalité de ce que les volontaires ont mis en bouche devait être recrachée et donc aucune calorie ingérée. Conclusion édifiante de l’étude : tous les volontaires ayant participé à l’expérience sont repartis en affirmant qu’ils n’avaient plus faim… alors même qu’ils n’avaient finalement rien mangé! En février 2018, une étude japonaise publiée dans le British médical Journal, réalisée sur 60000 personnes atteintes de diabète de type 2, montrait un lien direct entre la vitesse à laquelle les participants avalaient leur repas et l’évolution de leur poids. Les scientifiques ont d’abord observé que dès le départ, les personnes qui mangeaient lentement, avaient un tour de taille moins élevé en moyenne que les autres. Et au contraire, chez celles qui mangeaient vite, le surpoids était plus fréquent à 44%.
Comment mastiquer au lieu d’engloutir?
Le fait de mastiquer permet à la salive de se mélanger aux résidus du broyage alimentaire, formant un mélange cohésif non adhérent sur les dents, et prêt à être dégluti sans risque de fausse route vers l’estomac. Cette étape de mise en bouche des aliments permet de prévenir l’intestin de l’arrivée de nutriments et d’ajuster le plus finement possible les apports aux besoins alimentaires. En mâchant, on ne mange pas trop, on ne surconsomme pas, on ne gaspille pas. En mâchant, vous vous autorisez une explosion de saveurs en bouche, l’aliment n’est pas terne, il vous fait du bien.
Alors mâchons. Voici mes conseils :
- Eteindre les distracteurs d’attention que sont les écrans, pour se concentrer sur le moment présent et le repas
- Si possible mangez en communauté (famille, collègues, amis), le repas sera moins souvent englouti
- Faîtes une entrée, un plat principal et un dessert, composé de fruits et d’un laitage si vous le tolérez bien
- Donnez de la mâche à vos repas, en combinant toujours des aliments durs à des mous. Par exemple, ne faîtes pas un repas composé d’une soupe, puis d’un tartare frites, pour finir par une crème brûlée… Mettez une poignée de fruits secs dans votre salade ou dans votre yaourt, cela contribue à une mastication renforcée. Mettez des légumes à côté de vos sempiternelles frites, cela donnera de la consistance à votre repas.
Concernant les fruits secs, ils ont de multiples autres avantages, qui mériteront prochainement un autre article de ma part !…